La robe d’amitié d’après la vie et l’oeuvre de Germaine Tillion
Fresnes, le 3 janvier 1943. Au tribunal allemand. Messieurs, j’ai été arrêtée le 13 août 1942 parce que je me trouvais dans une zone d’arrestation. Ne sachant encore au juste de quoi m’inculper et espérant que je pourrais suggérer – moi-même -une idée, on me mit, pendant trois mois environ, à un régime spécial pour stimuler mon imagination. Malheureusement ce régime acheva de m’abrutir et mon commissaire dut se rabattre sur son propre génie qui enfanta les cinq accusations suivantes, dont quatre sont graves. Et une vraie.
Est-ce une habitude, ou un morbide stimulus, ou une peur d’être oublié, ou une douloureuse obligation apprise là-bas et restée dans son actualité de chaque moment d’homme que vous mettiez souvent, vous qui avez connu l’enfer nazi, au bas de vos lettres, de vos mots, de votre histoire, le nom de votre camps et votre matricule.
Mais dans ce voyage, nous ne saurons jamais, afin de le graver dans notre mathématique, de la douleur et de la mémoire, le « numéro » de Mendel Schainfeld. Or, nous sommes dans le continuel de cette marche d’homme, d’un homme devant nous, près de nous, avec nous, qui eut ce matricule. Quand je dis un homme, je pense d’une exacte et même déchirure un enfant, un vieillard, une femme.
Sûr à la fin d’être interpellé quand Mendel s’en va, sur un hier devenu l’aujourd’hui, pour notre savoir de citoyen et d’apprendre: « la conscience ». Cette pièce appartient à l’intimité de notre temps, et est de tout temps, de toujours tant par le jeu de rôle de l’acteur, que par la situation dramatique développée, que par la minutie de l’instant qui détruit toute humanité. Ce temps assassinant qui perdure me fut puissamment là, par son actualité le long de ce deuxième voyage à Munich.
Cette pièce est pour moi une rencontre et un grand bonheur malgré l’effroi qu’elle porte dans sa cruelle modernité à être et dans sa cruauté à nous éveiller. Y a-t-il un espoir?
Que celui qui a vu, que ceux qui liront ces lignes sachant tirer la quintessence de l’être humain dans son obligation à n’être pas nuisible. Ecoutez le héros: Et le pire, c’est quand les gens se plantent devant moi et me regardent…
Alors la mort miaulant l’oubli peut-elle faire son oeuvre, tel est (le) mystère que tout être éveillé redoute?
Michel Reynaud.