La dimension du théâtre… C’est la première phrase qui me vient avant d’aborder la première répétition pour cette « reprise de Mendel ». La dimension du théâtre… Mesures invisibles… Sur le plateau j’ai posé la petite valise noire d’origine et qui là, à elle seule, donne pour moi au voyage théâtral qui m’attend toute une valeur ; une valeur que d’ailleurs nul ne saurait estimer. Je regarde la valise. Si le théâtre est à la fois un rêve et un métier, il est aussi et surtout un rendez-vous, voilà ce que je comprends face à la valise noire seule dans l’espace. Rendez-vous, mais rendez-vous de longue durée pour l’acteur. Lui, à travers ses rôles, il s’approche d’une intensité certaine et inénarrable. Et il dit qu’il joue. On dit aussi de lui qu’il joue. Aujourd’hui ce rendez-vous est pour moi bien particulier.
Quelle marche à suivre, quelle façon de faire, sachant que je suis sur une scène de théâtre et non dans le bus (qui est au garage) Retrouver avec mélancolie le souvenir des premiers pas avec Mendel ? Pourquoi pas ? Il faut bien un point de départ. En me forçant, j’y arrive. Je distingue l’ombre du personnage que j’étais à l’époque de la création, il y a trente ans. Je la scrute gravement cette ombre et retrouve grâce à elle le chemin qui mène de ma maison de l’époque à la gare ; à la voiture SNCF mise à disposition et où je vais répéter seul pour vingt spectateurs imaginaires. Je porte en cette solitude ancienne une définition de la parole qui me taraude et que je n’ai cessé de modifier. Aujourd’hui je dis par exemple que LE THEATRE EST UNE LONGUE DECHIRURE DE LA SOLITUDE ; une sorte d’opération à cœur ouvert…
Je n’ai pas voulu avant cette répétition, remettre le nez dans le texte qui est devenu en 1998 un livre préfacé par Pierre Billaux*. (matricule 39359 Neuengamme) Pierre Billaux, spectateur, rencontré après une séance à Argentan et devenu ami. Mais il me faut mettre à l’écart la nuée des souvenirs qui reviennent pour me lancer dans la répétition vraiment. Je veux solliciter des échos de ma mémoire et aussi ma bouche et mon corps – la façon de se déplacer du personnage, de manipuler des objets – pour qu’ils convergent ensemble vers la partition originale. Est-ce possible ? Tout ça se fait presque en dehors de moi. Je suis d’abord mon spectateur sensible. Je réussis, ou plutôt ils réussissent – mémoire, bouche et corps – timidement d’abord et sur quelques brefs passages à retrouver le ton et le rythme recherchés… Arnaud confirme. Mais c’est approximatif et surtout ça veut dire qu’il n’y a que l’ensemble qui pourra tenir…Que les mots doivent être solidaires. J’ai peur d’être trop loin de mon sujet, d’être emporté par lui, au large de ce rendez-vous provoqué. On ne peut pas vivre sur le plateau et y respirer par intermittence : la répétition est un temps plein (parfois perdu, parfois mauvais et marqué de déception) ; le jeu, lui, est un temps hors de ce temps plein et c’est par lui – ainsi considéré – que je vais pouvoir avancer.
J’ai le livre entre les mains mais le texte d’origine a évolué dans ma bouche au fil des séances; si bien que d’y jeter un œil ne me fait pas avancer sur le jeu. A force de jouer j’ai révélé une parole encore plus directe il me semble, un peu moins heurtée et que je peux « caler » un peu en fonction du public et de chaque regard… Alchimie évolutive et réglable au cœur du jeu. Parfois une intonation ou la durée d’un silence suffisent à renforcer l’écoute. Ce qui est sûr c’est que je ne vais pas pouvoir ni trahir, ni forcer mon Mendel si je ne le retrouve pas vraiment… Je me rends compte cependant que le décalage d’âge et d’époque ne sera pas un obstacle… Mendel, tu es là ?… Je le crois toujours vivant et j’ai envie d’être à côté de lui dans un bar de Munich.
Quand Antoine Vitez a repris deux fois à dix ans d’écart sa mise en scène d’« Electre » avec la même comédienne, Evelyne Istria, il a sûrement cherché à vivre cette forme d’éternité dans laquelle le théâtre est une caverne où résonnent les premiers pas et les premiers marmonnements de l’humanité. On peut dire ça comme ça. Quoi de plus bouleversant pour nous, acteurs ? Pour nous, spectateurs ?
Les 817 séances, (l’équivalent de 34 jours et 34 nuits), me font dire que je suis une sorte de double de Mendel, et ça c’est un cadeau du théâtre de nous faire devenir autre. « Les deux pans d’un même toit » pour reprendre une expression chère à Germaine Tillion. Lorsque Michel Bouquet joue 800 fois « Le Roi se meurt », c’est sans doute ce cadeau-là qui lui est offert, au-delà des représentations et de toute gloire. Quand je l’ai vu interpréter en plein-air ce Roi du fameux Ionesco, dieu qu’il m’a tout de suite paru vieux ! A en avoir peur pour lui !… Après la séance j’ai eu la chance de pouvoir saluer l’acteur : il avait vingt ans de moins et son sang bouillonnant faisait remonter dans sa main toute une chaleur humaine ; un flot ! Camus lui avait fait le même coup me dit-il (car c’est bien un coup) de garder ainsi longtemps la main de l’acteur dans la sienne. Cette sensation est en moi depuis, si précieuse. Elle est devenue pour moi le signe supérieur du théâtre, de sa transmission. Je n’avais pas vécu cette rencontre avant la création de Mendel, loin de là… Mais quand je pense aujourd’hui à la fin du spectacle qui me fait quitter les vingt spectateurs en leur serrant la main (plus de quinze mille poignées de mains ça fait), je me dis que peut-être ils ressentent, certes de façon plus éphémère, la même sensation que j’ai perçue avec Bouquet.
Le théâtre pour un acteur, le théâtre ressenti, c’est le dedans et le dehors en même temps.
Avec Mendel, et sans jeu de mot, tout est concentré : la mémoire, l’émotion, le groupe de vingt spectateurs à l’étroit dans le bus, le presque soulagement du personnage qu’on perçoit quand le voyage s’arrête. Ce qu’il raconte : son incompréhension de la bêtise et de la violence humaine alors qu’il a été élevé dans l’admiration de la culture allemande ; ce qu’il raconte donc n’est pas à priori l’occasion d’imposer un message – C’est le résultat de vingt cinq ans de ressassement… Le texte s’est construit en lui, par la répétition obsessionnelle des évènements de sa vie : son éducation, sa déportation, et « la vie » d’après. Et se sont sans doute aussi ces mêmes mots répétés et répétés qui l’ont sauvé de cette bataille du mal contre le mal, de tout cet être qui finalement dit NON et se met enfin à parler, dans le tracas certes, mais librement. Comment vivre avec de telles douleurs et l’impression dans les yeux des gens que vous traduisez en reproche : celui d’être sorti du camp et donc d’être à jamais coupable vis-à-vis de ceux qui y sont restés ? Mendel finit par donner, presque malgré lui, sa réponse. Ce n’est pas un texte d’auteur, c’est la parole brûlante de vie d’un homme blessé, un petit ouvrier métallurgique qui nous offre par l’effet de sa bonté naturelle l’essentiel de sa pensée et des vibrations qui vont avec, humour compris.
C’est tout cela qui fait de ce spectacle une proposition absolument atypique et unique. J’ai la chance (rare) de jouer un texte qui, dans son exigence, s’adresse à tous. Il faut absolument que j’en retrouve toutes les veines : celles qui remontent au cœur battant.
– Livre édité aux Editions Tirésias.
Un personnage sans histoire est un Pinocchio sans nez, et tellement avide d’exister qu’il peut aller jusqu’à la prise d’otage (hilarante).Qu’on se le dise ! La nouvelle création de Gilles Debenat et de son équipe nous rappelle les vertus et vérités si précieuses de la création.
Le principal complice du créateur, c’est lui-même.
La naissance d’une œuvre en dépend ; elle ne doit pas être brouillée par d’autres intérêts. Gilles Debenat nous fait part au début du spectacle, dans un exercice périlleux et très bien maîtrisé, de son émotion à voir naître entre ses mains la tête d’une nouvelle marionnette (oui, pour elle aussi l’aventure « humaine » commence la tête la première), et ce quelle que soit la matière abordée : bois, mousse, cuir, alu…
Le spectacle évoque le rapport d’une marionnette à son « papa », marionnette créée en l’occurrence il y a douze ans mais qui n’a jamais trouvé sa place dans aucun spectacle… Le parcours de cette marionnette sans nom, si ce n’est « Le Prisonnier », tout bêtement à cause de son costume, trouve dans ce spectacle le rôle de sa vie, mais sans s’en rendre compte bien sûr (autre élément comique). Et voilà le spectateur embarqué en ENFANCE (qui rime si bien avec évidence) ! Comme dans une jeune adolescence la lecture d’un livre de Frison-Roche nous donne réellement froid en le lisant, ou comme un récit de Alain Gerbault nous met sur la mer, ce personnage sans histoire nous met en enfance. Il ne nous entraîne pas forcément dans des souvenirs, encore moins vers la nostalgie, mais dans l’ENFANCE, elle-même ! Alors c’est un spectacle qui passe comme une suite de rêves et de cauchemars mêlés, se cassant et se réparant dans une drôlerie superbe et une manipulation technique très au point ; tout ça, en apparence, sans calculs ni enjeux, (une rareté), c’est-à-dire dans une liberté que seule la poésie sait offrir.
Raconter le spectacle ne serait bien sûr jamais aussi vivant qu’il ne l’est (en vrai !), et donc ça serait ici inutile et laborieux… Dire seulement qu’il est inspiré aussi par la bande dessinée dont l’auteur est l’auteur du spectacle… Qu’ils sont deux comédiens-marionnettistes sur le plateau : Gilles, avec ses faux airs de l’ami-comédien Jacques Gamblin du début des années 2000 ; Antoine, en combinaison noire intégrale d’Apiculteur de l’Enfer, et Cédric dont la présence, assis de profil (droit) à sa régie sur une petite chaise, réjouit. Peut-être, tout de même, plus sérieusement pourrions-nous entendre et nous étendre sur la mesure donnée à la solitude et aux doutes inhérents à toute création ; à la nécessité aussi de faire équipe (une évidence bonne à percevoir avec notamment un passage dédié à la recherche en répétition).
Si on ne regarde pas le ciel en sortant du théâtre (ce qui arrive malheureusement trop souvent : on veut respirer un autre air), c’est que ce ciel est descendu au fond de nous même pour que s’y projettent, venant un à un dans leurs solitudes, des personnages attendant chacun son histoire. Le spectateur, le témoin de la vie et le créateur sont pareils, ils attendent de voir se transformer la vie en art. Parfois ils n’attendent rien, et « ça » arrive !… Une marionnette ne grandit pas, elle est sans âge quelle que soit son allure ; elle est l’enfant qui pourtant veut grandir mais qui restera lui-même, caché dans le corps d’adulte qui l’a adopté.
Avec le spectacle de Drolatic, on n’est ni chez Alfred Jarry (le marionnettiste), ni chez Kantor – quoiqu’on ne saurait mesurer aujourd’hui l’impact de ces deux génies-là sur la « création marionnettique » contemporaine, mais on est d’abord, réjoui, comme en ENFANCE, et nous y guettons, d’un œil luisant d’envie, ouvertures et fermetures d’un rideau sur le monde des autres (le jour pour voir, la nuit pour rêver, ou l’inverse… La nuit d’après « Bonne nuit les petits »* bien sûr !
- Emission pour les enfants vers la fin des années 60, diffusée en noir et blanc sur la chaîne unique, entre 19h55 et 20h (après, on allait se coucher !).
UN PHOTOGRAPHE DE THÉÂTRE Suite au spectacle LES GROS PATINENT BIEN vu au Carré de Château-Gontier (53) le 17 mai 2024
Il existe toujours des photographes de théâtre, mais il y a un moment que je n’avais pas pu en apprécier l’importance. Grâce à Claude Parthenay* j’ai retrouvé le goût de regarder des photos d’un spectacle qui est par ailleurs l’un des rares où j’ai ri du début à la fin ; un spectacle « simple », « efficace », rythmé comme un film de Chaplin et, formidablement interprété. On pourrait donc avoir tendance en regardant des photos de la séance à vouloir retrouver le spectacle, à presser sa mémoire pour en déguster encore le jus : Rien de tout cela n’est possible. L’émotion ressentie en direct se métamorphose face à une seule photo, puis à une autre, puis à une autre, chacune étant un puits où se pencher, et il est vraiment inutile d’espérer que la photo à un moment puisse nous ramener, par son chemin, à cette même émotion.
La photo la plus intéressante n’est pas celle qui cherche à restituer mais c’est celle qui fait d’elle-même une œuvre distincte de son sujet, et qui est capable de ne tenir qu’à elle-même. On peut ainsi rester longtemps devant la photo d’un spectacle qu’on n’a pas vu… Il ne faudrait pas oublier que l’œil du spectateur n’est pas le même que l’œil de celui qui prend le temps de regarder une photo ; face à elle nous avons un autre rôle dans un autre rythme, et tout en nous peut se mobiliser pour cet exercice. Je ne suis pas sûr que ça marche toujours et sans doute faut-il, comme sur la scène, qu’un miracle se produise pour que le cerveau et les sensations éructent leur reconnaissance à la vie, à la poésie. Les visions du spectateur de théâtre sont vite anciennes tant elles se succèdent rapidement dans l’éphémère instant. Celle d’une photo délimitant son sujet dans l’espace du théâtre entraîne vers d’autres horizons que le théâtre lui-même. Sur la scène des milliers de photos défilent (dans Les gros ne patinent pas, en tout cas – et pendant 80 minutes !-), alors qu’une photo (de Claude P.) est comme un trésor sorti lentement d’une pyramide…
Il y a trois points communs, dans l’approche photographique, entre Claude Parthenay et le fameux photographe praguois Josef Sudek (1896-1976) ; je dirais : la mesure de l’instinct, la non-précipitation, et une pseudo-naïveté… Partir de chez soi comme un peintre sort avec son chevalet sur le dos tout en restant, comme le fut surnommé Sudek : « Le peintre à la fenêtre ». Pour eux il n’y a pas de différence entre leur fenêtre et la fenêtre du monde.
Une séquence théâtrale plus qu’aboutie, par son caractère éphémère emplit dans l’instant le théâtre, scène et spectateurs compris (dans « Les gros patinent bien », tout est lié avec la même réussite et le public forme un bouquet qui voudrait à la fin se trouver lancé sur scène)… La photo de théâtre réussie est une forme de réservoir, de puits vous permettant de remonter une autre histoire écrite selon votre respectueuse vérité. Et le théâtre, vécu dans tout ce qu’il génère, est en fait le résultat d’une convergence de ces éléments divers qui, de ruisseau en rivière, de rivière en fleuve, de rêve en rêve finissent par vous ouvrir des horizons non balisés et qui demeureraient insoupçonnables sans les acteurs et les photographes vivants (on peut rajouter les peintres et les musiciens) qui seuls les révèlent, les exposent, les explosent. Si Les gros ne patinent pas ils seraient bien capables d’enrayer les faces les plus terrible du monde ; c’est ce qui m’a semblé, l’autre soir, au Carré.
*Claude Parthenay est un photographe amateur doté d’un bon appareil ainsi que d’un bon œil, et il est loin d’être un spectateur régulier de théâtre. A la question de savoir s’il faut aimer le théâtre pour le photographier, je répondrais plutôt non…Mais par contre on ne peut pas écarter la notion essentielle de générosité. Et face à un spectacle généreux… L’un et l’autre auraient eu comme objectif de fabriquer un fameux et magnifique mascaret …
LE SPECTACLE SUR-VIVANT
Alice Barraud était présente devant Le petit Cambodge à Paris le 13 novembre 2015 quand des coups de feu ont éclaté. Résultat : une balle dans le bras. Pour une acrobate-voltigeuse de 21 ans, c’est ce qui s’appelle être frappée en plein vol. Qui pourrait croire, 8 ans plus tard, qu’on puisse la voir s’agiter sur scène jusqu’à monter dans son ciel ? Une sorte de magie de la vie que le cirque proclame, voilà ce qui nous est offert ! Avec Raphaël de Pressigny, multi-instrumentiste inventif (un autre miraculé, de la route cette fois), elle constitue un duo qui raconte son histoire dans une forme que la sincérité, entre autres, rend unique sur le plateau.
Tous les deux donnent à voir et à entendre un au-delà du fait divers dont on n’oublie jamais l’extrême violence originelle. De cette terrible mutilation qu’on devine à peine, à laquelle on ne voudrait pas croire, Alice transmet un écho sublime qui semble sans source et qu’elle sait si bien traduire sur scène ; il a le goût au fil de la représentation de notre envie d’humanité partagée : être ensemble, repousser le mal, redonner de l’homme… La salle au noir final ne s’y est pas trompée.
La case « spectacle vivant » explose, et nous sommes face à un « spectacle sur-vivant », et dans tous les sens du terme si l’on pense à la réalité de la création artistique d’aujourd’hui.
Rien de plus touchant, de plus vital que ce spectacle loin du pathos et des chichis, et des « Regardez, moi j’ai souffert ! », et sans rien de bobo, ne ressemblant en rien aux petites histoires qui alimentent tant de créations.
En ce sens, « Au mauvais moment – Au mauvais endroit », (MEMM) est un dopant pour les créateurs dignes de ce nom. En tout cas c’est nous qui ne sortons pas indemnes de ce que nous venons de voir et d’entendre, alors qu’Alice, on le sent, trouve dans les applaudissements nourris d’une salle quasi debout, un vrai remède contre la peur (qu’elle dit constante dans le texte : « Peur qu’ils reviennent »…
La force du récit, (la musique et les percussions sont du même sang) est tenue par l’humour jusqu’aux parodies du Docteur et de la Psy ; la scène avec le lit mécanisé est digne des meilleurs Chaplin et devrait être diffusée dans tous les hôpitaux du monde.
Voilà de quoi défendre au plus au point l’art de la scène ; ce qu’il injecte n’a pas de prix. Nous avons la chance ( !) que ce spectacle ait réussi à déjouer la loi des codes et des modes, si violente et si exclusive, ainsi pouvons-nous voir MEMM sur le plateau d’une Scène Nationale (3 séances complètes ; lors de la première, la joie de voir un public mélangé au moins dans les âges). On a l’impression que c’est direct de l’artiste au spectateur, sans calculs : du baume au cœur, du vent sur les pensées.
Rarement vu un tel équilibre entre le texte, la musique (excellente prestation toute en finesse de Raphaël), entre le plaisir, la peur et les idées. Je suis ressorti debout, en haut d’un mât, ou alors piqué sur le fléau de la balance, fort de mon ressenti, de cette joie de l’art, mais fragile aussi – par ces mêmes émotions – face au quotidien affronté dès la porte du théâtre franchit ; la mer est très souvent forte en ce moment…
Je voudrais tellement être sûr que chaque spectateur emporte et conserve durablement en lui ce qu’il aura éprouvé.
Note : Le texte du spectacle a été repéré et accompagné par la Fondation Beaumarchais.
Quelle chance et quelle surprise de retrouver le théâtre via un auteur né (à Laval) il y a 150 ans : Alfred Jarry ! Oui, le théâtre : on peut s’y perdre, s’y étaler, le figer en soi, le restreindre à un clan ou l’embourgeoiser, et s’y ennuyer… Il peut aussi nous émerveiller, et pour ça, heureusement, il y a Jarry !…
La poésie de Jarry est un appât formidablement préparé auquel pourtant peu de théâtreux ont mordu ; l’œuvre est marquée par UBU ROI, c’est évident. Mais si UBU ROI est « une pièce injouable », comme disait Antoine Vitez (Peut-être parce qu’il l’a lui-même montée ?), c‘est surtout parce qu’elle me semble n’être qu’une façade sur laquelle on pourrait bien lire par exemple: Vive la bêtise ! Vive la bourgeoisie ! Un point c’est tout. UBU ROI n’est qu’une sorte de couverture cartonnée et illustrée par un gros bonhomme coiffé de la toque du Ku klux klan et sur le ventre duquel est dessinée une infinie gidouille ; une couverture, une façade contre laquelle on se cogne et s’estourbit si bien qu’on ne peut y aller voir derrière. Et du coup on se demande si derrière il y a vraiment quelque chose (d’autre).
Jarry a déclaré que, quoiqu’il écrive, il pensait au théâtre, et le travail d’adaptation, qui a été mené pour créer nos 6 tableaux de LA PETITE SENSATION (Je pense particulièrement à « Chez Manette » – de « L’Amour en visites » -, et à un morceau du « Surmâle »), ouvre les portes d’une pièce dans laquelle on trouve tous les éléments pour construire un « squelette » auquel le travail de la mise-en-scène et de l’acteur semble pouvoir redonner chair. Jarry nous dit que dans son œuvre il y a tout mais que le lecteur ne retrouvera pas tout ; adapter ses textes en prose pour le théâtre apporte, c’est sûr, des révélations difficiles à résumer ici (Mais je vais m’y pencher pour un essai futur sur le sujet). Est-ce en partie sa haine de l’esprit bourgeois qui se retrouve dans son exigence littéraire, c’est-à-dire dans le mouvement acéré de sa pensée (une pensée qui a besoin d’espace) ? Peut-être bien.
L’étonnement vient de l’obligation « marionnettique » avec laquelle le metteur-en-scène doit diriger le jeu de l’acteur : celui-ci n’est pas amené à jouer la marionnette, bien au contraire,
mais le texte (une langue en mêlée) impose un rythme et inspire des réactions (d’expressions ou totalement gestuelles) contradictoires en permanence, c’est-à-dire tout simplement que se retrouve en jeu l’authenticité de nos émotions ; notre vérité. (Je développerai plus tard dans un essai des exemples précis). Le rythme, donc, avec le silence en maître du jeu (en une sorte de régulateur), et tout se termine avec lui dans cette magnifique trouvaille finale qui contient tout (toutes les choses vues et entendues, vécues et devinées, mystère compris) : « L’applaudissement du silence ».
Ainsi, par exemple, la pièce « Ubu enchaîné » ne montre-t Jarry » en 2007 (1ère création dans le nouveau Théâtre de Laval)… J’enrageais de glisser sur l’œuvre sans pouvoir adhérer un peu plus qu’un peu !
Ce spectacle est un poème, une respiration et un chant d’autre monde, celui où l’on ramasse aussi bien les souvenirs comme des fleurs et où on lance des ballons, des bouées ou des balises comme autant de cris. Pour accrocher cette pépite au fronton de la chanson française il n’y a aucun souci : les textes, les deux voix parfois assemblées et le piano sont là pour faire vivre un art dont on fait croire qu’il ne peut trouver sa survie que par l’adoubement du monde déplorable et tout puissant du show bizz, celui qui ne « pense » que par la starisation et l’argent. Peu de chance qu’il vienne récupérer un jour Claudine Orvain et Hervé Le Goff, les deux complices de « Chassé-Croisé ». Pourtant le spectacle fait son chemin et trouve à chaque séance un public (pas toujours très nombreux) qui ne tarde pas à être conquis et à s’exprimer les yeux grand ouverts.
Un spectacle vivant ce n’est pas un cd qui tourne, ni une oreillette accrochée à longueur de journée, faut-il le redire à nouveau ? Ce qui distingue « Chassé-Croisé » de nombreux récitals (on dirait curieusement que « ça chante » de plus en plus à travers la France !) c’est la juste dimension du mouvement (pour ne pas dire de la danse) et du jeu (pour ne pas dire du théâtre). Les deux interprètes n’ont pas à forcer leur talent pour « éclater » les chansons par le biais de ces deux arts. Il faut rappeler que Claudine fut une grande danseuse largement saluée à l’international quand elle était soliste d’un Centre chorégraphique national, et que Pierre Cardin admirait. Hervé, lui, est un compositeur inspiré, un pianiste au toucher sensible, et qui plus est un très bon comédien qu’on peut voir dans « Proust en Marcel », « Quel Molière ! », et bientôt dans « La Petite
sensation », spectacle inspiré par la vie et l’œuvre d’Alfred Jarry.
A Saint-Ouen-des-Toits, c’était à la Salle des Fêtes, à deux pas de l’église en pierre bleue de Louverné, et le spectacle était programmé un vendredi à 20h30 par le valeureux Musée Jean Chouan dont le président est un historien notoire et passionné. A dix ans il avait participé à une cérémonie nocturne dans la fermette qui sert aujourd’hui de Musée, et c’est cette aventure qui le possède encore et lui donne l’énergie d’écrire, de faire visiter… C’est l’ambiance majeure de son enfance, comme chacun peut avoir en tête un air ancien. Autour des lavoirs on chantait et les grands-mères après la guerre savaient encore énormément de chansons. Un jour que notre voisine, à Flers, me gardait un peu, elle avait entonné avec cœur tout en rangeant sa vaisselle « Les
roses blanches », et j’étais très étonné qu’on puisse chanter ainsi ; que les mots puissent être projetés avec autant de ferveur et d’échos. Je m’en souviens encore aujourd’hui à la vue de la moindre rose blanche. Après il y a eu Brassens, Brel, Ferré, Ferrat, Félix Leclerc, Barbara, Reggiani et Jacques Bertin. Tous ont partagé des émotions vraies, des idées, de la joie ; tous ont fait entendre des poètes. Un vrai terreau qui a permis à plusieurs générations de se construire, ni plus ni moins !
La rivière est devenue ruisseau où roulent encore quelques diamants (Chloé Lacan, par exemple), et on se croirait les deux pieds dedans en écoutant «Chassé Croisé ». Si vous avez une grande pièce, un bout de jardin, quelques amis et voisins, vous pouvez même profiter de cette proposition qui fait tant de bien !
Je ne cherche pas à me souvenir de la date de fabrication de LA LOGE*. Ce qui me revient, c’est ce temps de « réécriture » du texte de Vincent avec lui dans ce « placard » de 2m2 mis gracieusement à notre disposition par de la MJC de Bréquigny, à Rennes. Le créneau horaire défini bornait notre liberté comme un parloir de prison, et nous tentions d’imaginer un spectacle, un envol, sans moyens et sans attention particulière de qui que ce soit. Héroïques nous étions car sincères dans nos êtres !
Il y avait au creux des pages de Vincent une parole offerte ; un direct du cœur et du corps : une « tranche de vie » comme on dit, et bien saignante. Je sentais son importance qui était au-delà de moi-même (le monde des transformistes m’était inconnu) et déjà en partance vers d’autres oreilles, d’autres pensées. Il a suffi de trois rencontres dans le « placard » pour mettre le texte au mieux en vue de son passage sur la scène ; nous étions loin de cette ambiance de la fin des années soixante dix, un temps où toute création (il y en avait beaucoup dans les MJC) était suivie, relayée et accueillie dans la dynamique des propositions culturelles des autres MJC qui pouvaient facilement être en lien avec le Centre dramatique national de Rennes et son équipe de comédiens permanents. Tout cela est fini depuis un bon moment. A l’époque il y avait un théâtre de parole – visible – tout comme il y avait des chansons à texte… Aujourd’hui encore ! Aujourd’hui encore ! (crions-le). Sauf que cette effervescence de jadis est devenue comme un secret que le pouvoir rejette et qui, à force, ne peux plus attirer une large curiosité ; l’excellent chanteur Jacques Bertin, par exemple, nous avait bien prévenu en écrivant : « Chante toujours, tu m’intéresses ou Les combines du show-biz » (1981).
En fait, sans trop vouloir penser à la destinée du spectacle, nous nous lancions, faute de discussions possibles avec les « partenaires » de diffusion sur une piste parallèle à celle de la culture « en place » : la piste des troquets et des maigres recettes « au chapeau », des associations ou Machin ferait bien venir un spectacle dans une salle, bon, pas une salle de spectacle, et peut-être qu’il y aurait du monde… On a bien vu une fois ou deux un maire et un adjoint à la culture se pointer à une séance « promotionnelle », mais le Théâtre de Parole (comme la chanson à texte) n’est pas « municipalisable » puisqu’elle pas « événementielle » – l’enjeu des idées ne passe plus par la Culture, et c’est son échec. Logiquement, les responsables de programmation – au service des élus -, (disons 85% d’entre eux), ne sont pas intéressés par une telle proposition : elle est hors de leur réseau ! Dans ces conditions, pourquoi faudrait-il qu’ils se déplacent, et en plus, s’il s’agit de rencontrer des artistes ?… Alors on se dit qu’une forme de censure s’est installée et que c’est grave.
Nous voilà donc un 19 août 2023 à Belle Isle en Terre, 1029 habitants – avec LA LOGE – après quelques années de séances éparses (mais réussies) et dix mois sans avoir rejoué (la vérité d’un spectacle, c’est sa durée). C’est le jour de la Gay pride ; le spectacle est programmé à 14h, à l’Union, troquet de pays ouvert sur un petit carrefour (départ de toutes les Echappées possibles, je devais le comprendre rapidement). Il n’y a pas de place pour jouer, mais on va jouer quand même ; il n’y a pas de place pour le décor et une télé trône en fond de scène à côté d’une imposante vitrine présentant des objets hétéroclites avec, au-dessus, un renard empaillé et les yeux bandés par une écharpe rouge… Mais on va jouer quand même.
La salle est pleine, un enfant crie, on entend des bouteilles qui s’entrechoquent, mais Vincent joue.
Dans cette ambiance d’authenticité, le spectateur pas habitué reconnait en face de lui, tout près de lui, la fragilité et la force du comédien qui joue sa propre histoire (de transformiste) avec le juste recul qui fait la sève du moment. Une force est transmise et trois dames derrière moi traduisent en cours de route l’effet provoqué par un « Bravo pour le maquillage ! Oh, oui ! Oh, dis-donc !» qui circule entre elles.
Les applaudissements font de l’Union un bateau conquérant qui tangue en humanité, cet océan où je ne suis pas le seul à jeter ma larme. Le théâtre, qui est un bouleversement des émotions, est là, et c’est lui qui déferle en chacun, au-delà des mots et des codes : on se retrouve à trinquer comme après une victoire. C’en est une en effet, et je rage que LA LOGE ne soit pas programmé dix fois, mille fois dans les années à venir… On évoque entre nous le mirage d’Avignon et surtout la Belgique (via une spectatrice bruxelloise) qui serait plus ouverte et où nous irons prospecter en novembre, c’est décidé !
En attendant, quelque chose de la soirée s’est gravé en chacun : images, mots, frisson, ambiance de la salle…
Ô, comme j’aimerais voir un jour l’exposition de tout ça !
*LA LOGE, monologue en un acte pour un transformiste.
L’espace d’une transformation…
Cf Les Spectacles, sur le site du Théâtre de L’Echappée.
Notes et réflexions.
François Béchu, Responsable artistique du Théâtre de L’Echappée, Conseiller spécial auprès du Président de l’Institut de Théâtre International, ITI, UNESCO-France.
Lettre envoyée aux élus mayennais à la Région.
J’ai assisté à la présentation de la nouvelle « politique culturelle et patrimoniale » de la Région faite par Madame Leroy et Monsieur Thébault, à Laval, le 2 mars. Je savais que ça ne serait pas une fête, et ce fut un enterrement terrible, on peut dire sans scrupule ; une récupération et un détournement de l’art d’aujourd’hui sous prétexte d’une nouvelle politique culturelle établie sans qu’on sache vraiment par qui.
Les pêcheurs présents sur la scène sont rôdés à noyer le poisson (nous étions le dernier département des Pays de la Loire visité), et même si celui de la culture n’est pas le plus gros, il pèse quand même de part son aura (son auracinement ; tout ce qu’il suggère d’humanité et de liberté), et il faut le manier longtemps et profondément ce poisson pour en venir à bout. C’est l’exercice d’aujourd’hui du pouvoir régional, et nous allons le subir en grande majorité.
« Ceinture pour la culture. Compagnies déprogrammées en Alsace, coupes sombres dans les budgets à Lyon, fonds réservés pour « valoriser l’identité» en Vendée… Partout se réduit le soutien à la création… », avait-on pu lire comme titre des deux pages de Télérama consacrées au sujet qui nous intéresse. Il y a quinze jours.
« Ils » ont déjà gagné, mais l’entrée en résistance n’est pas interdite !…
L’aura, c’est donc fini, mais la valeur commerciale, non, bien au contraire avec l’Abbaye de Fontrevault comme place forte. C’est-à-dire qu’on souhaite installer de l’efficacité à partir d’un moule visiblement indiscutable (si ce n’est pour en accréditer l’évidence !) ; « on » avance, le coup d’œil récurrent dans le rétroviseur où l’on admire l’étendue du royaume des Plantagenêt (« La Région créera un nouveau grand parcours culturel Plantagenêt, dynastie impériale qui a largement marqué de son empreinte notre territoire ») ; voilà de quoi éclairer, « …grâce au passé, notre présent et notre futur ». Récupération d’un vocabulaire utilisé par le (vrai) Travail de Mémoire…
Je ne savais pas si l’assemblée, comme moi, ignorait l’appartenance politique de Monsieur Thébault ? Je sais maintenant qu’il est dans le parti de Monsieur Zemmour ! « J’ai une vision politique, a-t-il dit, et je veux l’appliquer ». Je comprends mieux « l’éthique » du projet, ces manœuvres sans scrupules, complètement orientées dans l’idée d’une éradication déguisée de la présence culturelle et de ceux qui lui donnent un visage et un sens : les artistes, déjà malmenés dans l’évolution économique de notre société et dans le rapport à la pensée. Nous avons entendu énormément « patrimoine », « patrimonial », et jamais « artiste », « création », à peine et dans un cadre inactif !
Déjà la Région s’est permis par le passé de supprimer sans sommation des aides au spectacle vivant ; je pense que toutes les Cies ou presque en ont gardé un mauvais signe, de même que des institutions ayant pourtant pignon sur rue comme les « Nuits de la Mayenne ». « C’est comme ça ! », entendait-on déjà !
La discussion, la « politique de la discussion » si revendiquée par Germaine Tillion n’est pas le fort des assemblées politiques quand elles évoquent le domaine culturel. Monsieur Thébault et Madame Leroy ont répété plusieurs fois qu’ils avaient fait une quarantaine de réunions pour accoucher du projet qui nous a été remis, avec des artistes et tout ce qu’il faut de personnes soit disant responsables… Mais pas vraiment de détails… Comme la réunion a commencé avec 30 minutes de retard (sans excuses) et que Madame Leroy a quitté la salle une bonne demie heure avant la fin, personne n’a pu poser la question pour savoir qui exactement a réalisé ce programme, et cette question, je vous engage à la poser, Mesdames, Messieurs les responsables régionaux ; la réponse risque d’être éloquente et j’espère, vous effarouchera… Vous êtes élus, c’est notre Assemblée régionale.
En tout cas, en tant que responsable artistique du Théâtre de L’Echappée à Laval je n’ai pas été contacté et n’ai pas eu vent de cette « construction », de cette réflexion… Je n’ai pas entendu ni lu qu’il y avait ce projet devenant presque réalité (mais de nombreux points semblent inachevés, pas construits du tout ; rien qu’un vocabulaire agencé…). On a entendu dire à la réunion que c’était en cohérence avec des choix du gouvernement… Ai-je bien entendu ? Là aussi des précisions seraient nécessaires. Mais la façon de faire est aspergée par la voix des deux présentateurs de mots tels que « Dialogues » et « transparence » !… On se croirait au Paradis.
Un sentiment de honte, l’ombre de Pétain et une assemblée composée de responsables culturels, tous demandeurs d’aides à la Région ; assemblée donc plutôt prudente et plutôt muette, on peut comprendre. On peut aussi décider de « résister » (on sait que tout le monde n’était pas pour Pétain !), et pourquoi pas de refuser ce projet, de ne plus rien demander à la Région dans l’objectif d’obtenir un vrai débat qui pourrait remettre sérieusement en cause les propositions faites.
Les aides à la création vont donc, pour certaines seulement, glisser lentement en 2023 dans le fond de la trappe avant de disparaître… A moins de créer un Théâtre des Plantagenais en Vendée? J’y réfléchis !…
Ce qui a été aussi désagréable pour moi car reçu comme une malhonnêteté, c’est la façon dont Madame Leroy a justifié l’arrêt total de la présence de la Région au Festival off d’Avignon : « 600 000 euros pour 8 Cies ! », a-t-elle lâchée sûre d’elle… Si les 40 réunions n’ont pas permis qu’elle réfléchisse davantage, il y a un gros problème de responsabilité et de compétence. L’histoire de la présence de la Région au Festival Off d’Avignon je la connais puisque j’ai présenté trois spectacles dans ce cadre, et j’ai aussi joué « Ubu Roi » pour une autre Cie régionale. Il y avait un vrai respect de tous les acteurs et spectateurs sur cette proposition puisque seuls Les Pays de Loire et la Région Champagne / Ardennes avaient fait ce pari qui a bien tenu sa place pendant de nombreuses années avant de se renouveler maladroitement dans un Festival d’Avignon devenu lui aussi très commercial ; plus commercial que théâtral. Quand Madame Leroy dit « Pour huit Cies ! », elle ignore donc l’histoire de la Région au Grenier à Sel ; elle ignore aussi que dans les Cies régionales présentes il y avait des comédiens et des techniciens qui travaillaient aussi dans d’autres Cies, elle ignorait l’ambiance, les rencontres et tout ce qui faisait ensuite un terreau une fois tout le monde revenu au bercail. Mais je ne pense pas que Madame Leroy se soit bien renseignée (qu’on l’ai bien renseignée), et sans doute n’a-t-elle jamais mis les pieds en juillet à Avignon. Il aurait d’ailleurs été tristement amusant de lui poser, et à son collègue, cette colle : Pouvez-vous citer une Cie par département ? J’entends d’ici la non-réponse.
Et donc on a entendu qu’il pourrait y avoir des aides si nous allions, nous Cies, conquérir des Festivals (uniquement sous la bénédiction des Plantagenêt, bien sûr !).
Car on a entendu plusieurs fois, avec une application qui prenait à chaque fois un peu plus de confiance, que le budget ne bougerait pas (enfin pas tout à fait) et que la Région continuerait à mettre 5 millions d’euros dans le projet culture/patrimoine… (Comme si le patrimoine ne pouvait être intégré à la culture ! Voilà encore le signe d’une dérivation…). 5 millions d’euros, donc. Oui, mais quelle répartition ? Mystère. Une nouvelle question à poser Mesdames, Messieurs, nos représentants à la Région, en toute urgence.
L’affaire est grave.
L’extrême droite se met en place et la prochaine présidentielle fait déjà froid dans le dos. Démocrates et humanistes, il nous faut nous réchauffer !
Après relecture du programme je fais à nouveau le triste constat d’intentions rétrogrades cachées sous un vocabulaire illusoire ; le piège est sous la paille… Ce programme doit être boycotté et remis en cause. La tribune du 40 était peuplée de Monsieur Thébault essentiellement, mais c’est à un forum inventif de responsables culturels et créateurs représentatifs auquel nous aurions dû être conviés !…
Je termine en racontant la dernière intervention d’un artiste qui a dit : si vous freinez si considérablement la création, qu’allez-vous diffuser, puisque vous dites que vous ferez des efforts pour la diffusion ? Il n’y eut pas de réponse.
Je compte sur vous, Mesdames, Messieurs les élus pour poser au moins les deux questions déterminantes évoquées :
1 Peut-on obtenir la liste des personnes qui, au fil de « quarante réunions », ont élaboré le programme récité le 2 mars ?
2 Comment vont se répartir les 5 millions d’euros annoncés pour la culture (et le patrimoine !) ?
Merci beaucoup pour votre attention.
François Béchu, Laval, le 8 mars 2023.
Un jeu d’adresse(s).
Jusqu’à présent, pour moi, le firmament pendait joliment d’Auprès de mon arbre, chanson de Georges Brassens entendue des centaines de fois : J’avais une mansarde pour tout logement / Avec des lézardes sur le firmament…
Un bien joli mot et un titre qui, dans le spectacle, s’inscrit en une image définitive (quoique adroitement tronquée) à la toute fin. « Regarde en haut ! Regarde en haut ! », entend-on quelques minutes avant cette ultime image où se mêlent, dans la mesure du « sacrifice » naturel de l’humanité, le petit et le grand, l’espoir et la désillusion, l’organisation et la dérive, le bleu de la nuit et le rouge du sang, et d’une certaine façon, la femme et l’homme.
Jamais frissonnement de douze personnages, de douze comédiennes n’aura ouvert champ plus grand que celui offert au spectateur par Lucie Kirwood et Chloé Dabert. (Et de champ nous en aurons un avec un petit film projeté en début de seconde partie, et sur lequel nous pourrions parler longuement).
Une œuvre qui nous entoure, qui pose une loupe sur nos cœurs, si semblables, et sur nos cerveaux, si différents.
Tout est si fin dans ce travail qu’on le dirait commun dès le départ (un point de rencontre dans le cosmos dramatique ?), entre l’auteure et la metteuse en scène !
Du théâtre !
Du théâtre qui agit en ouvrant chaque instant comme un fruit plus ou moins mûr, plus ou moins pourri. Je dis chaque instant mais en pensant que ces instants sont doubles : il y a l’instant dans la représentation et l’instant d’après la représentation ; présent et mémoire des sensations se sont superposés en moi (et ça continue le lendemain) dans un jeu ininterrompu, comme celui de mettre sa main sur la main de l’autre, et inversement, le plus rapidement possible jusqu’à se cogner, inévitablement.
Il ne faudrait pas oublier, pour redonner ici un peu de l’ambiance, la précieuse présence du son : une bille cosmique qui erre dans l’espace et roule dans notre cœur…
Cette accumulation d’instants frappant est muée par la qualité du texte aux nombreuses surprises, la qualité des comédiennes (qui magnifient le théâtre en nous le faisant oublier), et la qualité de la mise en scène qui réussit à faire tourner l’œuvre, à la barater même, pour faire référence à un passage du début du spectacle. Dans la pièce on ne verra ni beurre (« Ça ne vient pas ! »), ni lait (« Ça ne sort pas ! »), ou si peu, comme une demi preuve de l’accusée pour s’avouer enceinte et donc ainsi espérer échapper à son châtiment (elle est accusée de meurtre) ; convaincre les autres aussi, ancrées dans leurs certitudes comme dans leurs doutes… (« J’ai changé d’avis ! »).
Dans ce huis-clos où les corps et les paroles sont les ingrédients d’une (fine) et étrange pâte, la mise en scène agit pour un Théâtre gastronomique, si je peux me permettre cet intitulé. A quatre reprises, par exemple, un personnage glisse au milieu du plateau et se retrouve (mine de rien) face au groupe qui lui aussi a évolué subtilement pour constituer une sorte de jury populaire (ce qu’il est dans le projet du texte) ou de tribunal selon l’étape du texte… Ce genre de trouvaille scénique contribue à mettre face à face le 18ème siècle (anglais), et notre siècle ; la chair de notre pauvre humanité s’en trouve réveillée et… mise en appétit.
Il faudrait passer du temps pour décortiquer tous les signes renvoyés par la scène, et je pense sincèrement que ce serait salvateur, que ce serait une manière de remettre le théâtre au cœur de la société, avec tout ce qu’il contient d’intelligence, de générosité, de poésie et de confiance. Du théâtre comme un trésor de paix.
« Le Firmament » de Lucy Kirwood et Chloé Dabert… Une jubilation nouée solidement par les traits d’un humour, profond comme une âme. Un émerveillement ! Qu’il me revienne autant de fois que j’ai entendu la chanson de Brassens !
***
Récit théâtralisé
La fabuleuse histoire de « Mendel Schainfled, le 2 ème voyage à Munich », et celle, avec et autour, de la vie et de l’oeuvre de Germaine Tillion.
Par le souvenir et par souci de futur, associer deux paroles à mes yeux essentielles par les temps qui courent : celle de Mendel Schainfeld et celle de Germaine Tillion.
Aux 817 séances achetées et jouées pour « Mendel » (France et Allemagne : autour de 16 000 spectateurs) : s’ajoutent les nombreux spectateurs des nombreuses actions autour de Germaine Tillion dont les deux grands événements nationaux : « Germaine Tillion, allègrement » (Haute-Loire) et « Germaine Tillion, la Dame de Plouhinec » (Morbihan).
Au soir de la dernière élection, je me suis dit qu’un nouveau compte à rebours était déclenché : J-5 années d’ici les prochaines présidentielles qui pourraient être terribles si l’extrême droite …
J’avais déjà pensé au préalable, avec mon complice Arnaud Coutancier, boucler l’aventure « Mendel » , mais sans trop savoir comment ! … Les choses se sont précisées dans ma tête depuis dimanche et un premier plan du récit et d’actions s’est dessiné librement. Pour moi, la nécessité de faire résonner et se confronter ces deux paroles et les paroles qu’elles ont engendrées : les déportés rencontrés, les scolaires, Mendel à Munich, Germaine à Saint-Mandé et à Plouhinec avec ses ami.e.s illustres et inconnu.e.s, le Panthéon, Simone de Bollardière, Jean Lacouture, Tzvetan Todorov, la famille de Gaulle … Regards, paroles, échanges, moments et gestes jamais révélés et si parlant – si importants et intéressants pour aujourd’hui -, l’Histoire …
27 ans d’actions pour la Mémoire : l’équipe du Théâtre de l’Échappée a sa « Signature humaine » !
Pour l’instant …
Je pense à un récit théâtralisé dont La conférence gesticulée inventée par Franck Lepage pourrait être une sorte de référence.
Et il faut trouver le moyen d’aller devant le public le plus large possible, dedans et en dehors des théâtres… Je me dis que l’air est bon partout où l’on sème une parole vivace… Quelque chose de simple, un espace qui ne puisse pas polluer la parole ni trop montrer « le théâtre » … Itinérance dans la ville ? Présence dans la ville ? (Une semaine de présence et de spectacles, comme pour « Mendel » ? …).
Arpenter les âmes et les territoires ….
C’est dans une vapeur vivante (nuages de locomotives, cascades de suées magiques) que vous embarquez dans le temps de ce spectacle où les corps assombris dans l’espace semblent tout d’abord des pions d’un vaste échiquier sans cases… Six statues toutes différentes, immuables dans la lumière, et qu’un seul danseur en mouvement anime toutes !
On peut penser aussi dans un autre moment aux passagers d’un train que vous rejoignez très vite sous l’injonction de votre propre corps capté qui, sans vous prévenir, s’en va épouser des paysages sans cesse changeants, des rixes aussi bien que des alliances… Train de jour et train de nuit qui regagne un tunnel merveilleux, puis qui s’échappe encore du trou noir par le rêve… « MU » de « ReMUé »…
Inutile de « raconter » ce spectacle car il court dans ma tête et partout dans mon corps réveillé… Il aurait pu s’intituler « Aiguillages » s’il n’y avait la beauté supérieure de « MU » qui veut dire « EAU » dans un langage très lointain ; « MU » de « MUtuel »…
Mais ce n’est pas l’EAU plus que la PEAU (MU avant MUE) ; ce serait plutôt le couple que forme ces deux là et qui nous entraîne d’îles en îlots où rien n’a le temps de s’alourdir, où sons et MUsique respirent…
On se voit parfois à la fenêtre du train… Vue imprenable sur 7 danseurs, 7 nuages, 7 rivières ; sur 7777 gestes nourris d’un seul, aussi furtif que les autres et qui est par exemple celui de recueillir un bol d’eau précieuse (du moins c’est ce que j’ai vu à un moment sans qu’il y ait sur scène aucun objet)…
En mixant plusieurs « styles » de danse via le Krump, David Drouard ne cherche pas à démontrer quoi que ce soit. Il continue en artiste inspiré, en citoyen conscient sa quête d’hUManité ; il offre à notre mémoire un nouveau champ qui ne demande qu’à être considéré (cultivé sûrement). Notre mémoire a besoin de s’abreuver et trouve avec/dans « MU » tout le contraire d’un mirage.
De même que ce train dépassait tous mes trains, que ce voyage dépassait tous mes voyages, la tribu dansante sous mes yeux dépassait la danse de toutes les tribus, rappelant au passage qu’un sol brûlant est un défi auquel le corps peut répondre magnifiquement, que la mémoire des civilisations est en chacun de nous… D’où cette impression si forte et vivifiante d’éternelle naissance qui me fait inventer ici le mot de MUternité !
Le « en nous », et l’inconnu…
Et puis sur quelques secondes j’ai traversé une soirée proustienne… J’ai vu Proust en chorégraphe littéraire, fantôme manipulant sur la scène Swann, Madame Strauss… Sept personnages et tout y était ; Proust aussi a inventé un tourbillon toujours en activité, toujours à l’œuvre cent ans après !
3000 ans ou 100 ans… Le temps retrouvé, découvert par David, est désormais notre temps à tous.
Retrouvé, le Théâtre !
La dernière fois, il n’y a pas si longtemps, c’était avec Jean-Pierre Darroussin investi dans un monologue inspiré par Rimbaud. Dans Le Dragon ce sont quinze comédiens (excellents) qui vous tiennent compagnie, et bien au-delà de la représentation, si vous le voulez… Troupe à laquelle je pense maintenant comme à ma famille ; la famille retrouvée !
Dans la salle, avant que les choses sérieuses ne commencent, un projecteur tournant passe vous chauffer le crâne et indique à votre cerveau d’être là, d’être avec… D’aller vers ce livre au fond de la caverne dont nous pourrions, chacun, écrire ou même avoir écrit déjà les pages !
L’humanité doit toujours corriger son brouillon.
Quelle différence entre les sensations humaines d’il y a 400 ans (les 400 ans du Dragon) et celles d’aujourd’hui ? Vraie question ! Et quels dragons nous faut-t-il terrasser avant de réussir à lancer la Passerelle du bonheur, la seule capable de nous relier à l’homme, à nous d’il y a 400 ans et plus, aussi bien qu’à notre voisin ?
Le Dragon est un conte hurlant qui vient secouer notre humanité, la brûlant de froid puis de chaud tant elle est difficile à remuer et à défendre, et à sauver, tandis que le vent putride de nos haleines humaines zèbre la planète…
La grâce de l’intelligence -nourrit nécessairement d’Humour et d’Imagination- fait de ce spectacle une œuvre qui invite magnifiquement le spectateur à exister au-delà de son rang. J’ai vu aussi passer Brecht, Jarry, Strindberg et d’autres illustres -véritables ou imaginaires-, ombres riches et fortes dans l’éclat inspiré de la mise en scène. Une joie !
C’est un spectacle de rassemblement, une union sacrée des arts qui fait respirer et batailler ensemble, bande dessinée, cinéma, musique et sons, littérature et poésie sur le plateau sans que l’un prenne au bout du Conte le pas sur l’autre, car il s’agit avant tout d’existence, de la reconnaissance -finalement magnifiée- de notre existence vivace, malmenée souvent, c’est-à-dire de ce chemin d’équilibre commun… A retrouver ! A défendre !…
Deux jours après la représentation, les émergences, les saillies, les gouffres, les blagues et les fonds indicibles de cette œuvre de Thomas Jolly, que je remercie vivement, déferlent en moi…
« Théâtre populaire », dit-il… Oui ! C’est son investissement, sa préoccupation.
Merci encore !
Le public, comme soulevé à la fin de la première par une vague claire et incontrôlable venue du fond de lui-même, s’est dispersé dans la nuit… Visage blême au-dessus de son portable. Mes semblables y voyez-vous votre Dragon ?
Qu’allez-vous faire de ce spectacle, mes voisins, mes assis ? Dites-moi, je vous en supplie !…
L’origine du texte n’est ni une idée, ni un mot, ni un bout de phrase élaboré ; son développement non plus…Tout s’ensuivit et se trouva revu sous la même impulsion.
Au commencement il y a eu un instant de solitude qui n’était pas simplement le fait d’être seul ; là, dans ma cuisine, je me suis arrêté « de tout mon poids », dirais-je, tant l’impression de cet arrêt semblait doubler ou tripler toutes les proportions, y compris les miennes ! Et si j’avais conscience d’un monde présent, il était indistinct et se déployait à l’infini. C’était une bouée qui m’emportait et j’étais sans autres mots, sans autres pensées.
Je montais en moi comme sur une scène pour un défi absolument théâtral.
Dans le quotidien de ma cuisine, (une sorte de « réduit » comme on disait autrefois), un instant dans le vide, sans personne… Puis le remplissage de ce vide dans cette cuisine, la pièce la plus fréquentée de la maison. On y croise aussi bien l’âme des mères que des grands-mères ; les comptines et les chansons, presque l’histoire du soir… J’y étais arrêté, les bras ballants comme un pauvre type défait sur place et qui ne sait plus avancer. Une mouche et son bruit se sont mis à exister dans le petit espace.
A tous les autres moments de ma vie, cet instant serait passé et oublié dans le même temps ; tout le monde connait ça… Là, il y a eu une autre dimension. Un arrêt plus long que tout arrêt quotidien ; un arrêt plus long, et je dirais bien : plus grand ! Le théâtre était là dans une telle intensité qu’il fit vibrer pour le faire naître le personnage que je devenais lui donnant une mesure de moi jusqu’alors inconnue; l’espace aussi prenait force. Tout y semblait prêt, mais à quoi ? A la parole libre avec une mouche à la fois impossible à ignorer et précieuse.
Le texte est venu d’abord comme un écho inaudible dans lequel les mots se sont fourrés sans que j’aie à les chercher, à calculer les phrases. Un Théâtre de solitude originelle, sans ennui ni tristesse ; un Théâtre de solitude, pas un théâtre de la solitude, ni un théâtre de solitaire. Une solitude profonde; le bain de l’œuvre naissante. Les principales facettes, les principales étoiles qui se mirent à briller ont eu nom : La Légèreté, L’Amusement, Les Sourires, Les rires, et l’absurdité de leurs danses n’était rien d’autre que la source du plaisir d’exister.
Quand on écoute, mais implacablement, ce qui en nous peut-être le remuement de notre propre parole, n’entend-t-on pas aussi celle des autres ? Le Théâtre de solitude se trouve précisément à ce carrefour.
En écrivant, la parole déménageait la solitude, et j’ai eu l’impression d’avoir davantage parlé à ma feuille que d’avoir écrit… Je l’évaluais comme je pouvais avec mon cœur généreux, c’est-à-dire moins précisément que le pêcheur qui lance son plomb pour mesurer la hauteur de l’eau. D’ailleurs je ne me suis jamais senti dans aucune action au fil du texte, mais plutôt dans un mouvement inédit et mystérieux.
Écrire ici Aucune cuisine n’a jamais été joliment traversée par une rivière !, en est un.
Beg-Meil, 23 août 2021, Plage des Dunes.
Rien de tel pour ne pas s’égarer dans mille questionnements que de faire la liste de ce qui aura fait notre actualité sur ce mois de janvier 2021 :
1 – Le Musée Mondial du Cure Dent de notre chère Carry Bridge est passé en tête des événements 2021 pour Ouest-France ! Un beau cadeau de début d’année !
2 – Reportage le 12 janvier dans nos locaux de France Bleu Mayenne avec Hervé Lefèvre pour son émission « Côté Culture ». Diffusion de 10 épisodes de 2’30 du 18 au 24 janvier (intégrale le 24).
3 – Réception de la traduction commandée à Frédéric Noguer, l’excellent traducteur de « ERLING » de Christina Herrström, de deux pièces de August Strindberg : « La plus forte », et « Paria ».
4 – Accueil en résidence du 18 au 22 de la Cie Réciproque (Marie-Laure Crochant / Nantes) pour un nouveau travail sur « Cactus », adaptation d’un récit d’un ouvrier dans un abattoir.
5 – Organisation de la tournée de « Quel Molière ! » (Juin à septembre 2021) ; un travail quotidien, mais déjà 25 séances se profilent !
6 – Début de l’Atelier-Théâtre au Lycée Don Bosco de Mayenne. Il est animé par le fidèle Arnaud Coutancier.
7 – A l’appel de La Factory d’Avignon une invitation nationale et symbolique d’ouverture des théâtres et lieux de diffusion le 30 janvier. Nous nous associons avec enthousiasme à cette initiative et ouvrirons nos portes de 16h à 17h.
Serions-nous réduits, – au terme du bouillonnement qui, pour la plupart, nous agite sous les masques – réduits comme une sauce qu’un pouvoir ferait épaissir afin de mieux profiter de la situation et de s’en régaler ?… A l’aveugle !
La question est violente et ne cherche pas à ajouter de la peur à la peur ni de la grogne face à la réflexion ; elle cherche plutôt à mettre en jeu le mot « Ensemble ».
L’expression « Un bel ensemble ! », m’a toujours en elle-même enthousiasmé car elle sait diffuser en moi une harmonie ; elle ouvre sur une curiosité qui détecte des détails, et les détails donnent des idées et des envies… Le beau inspire sans pour autant ignorer les nuages noirs toujours à même de passer dans ses tableaux… Le beau prévient du mal.
Je ne sais pas à quel point nous sommes ensemble dans un juste rapport qui permettrait d’en avoir conscience ? Une manifestation de masse est une illusion (mais si forte parfois !) qui nous plonge dans un anonymat consenti et partagé, c’est la pointe d’une flèche pointant la joie, la révolte, d’autres choses plus intimes encore proposées en partage…
Je ne sais pas à quel point nous nous retrouvons ensemble dans une salle de théâtre (je préfère encore dire ça plutôt que salle de spectacles) ?
Je ne sais pas à quel point une équipe de comédiens, de danseurs, de musiciens se retrouve pour vivre ensemble un évènement ? Dans l’envie nourrie d’impatience, il y a l’art, cette plongée en nous-mêmes qui remonte les traductions les plus vivaces.
Je ne sais à quel point spectateurs et artistes se retrouvent ensemble pour ces mêmes évènements ?
Nous pouvons comprendre le monde dans lequel nous vivons seulement si nous pouvons le vivre ensemble, ou du moins, si par la force des contrariétés, nous cherchons toujours à le vivre ensemble, et le plus librement possible. Est-ce que ce qui existe encore d’envie de partager un moment artistique supporte son contraire qui est la distanciation masquée (où non, car si on regarde bien beaucoup d’autres éléments mettent le citoyen à distance de l’art) ? Je ne crache pas sur les manifestations « malgré tout », sur l’énergie qu’il y a à vouloir être sur scène ou dans un théâtre, mais ce quelque chose qui pèse sur nous tous comme une faute que chacun aurait commise et que nous payons cash, ensemble, pose la question des distances « ordinaires », habituelles. Comment fonctionne la culture ? Est-elle à la source liée aux créateurs, ou bien est-ce le contraire ? La joie de vivre et d’inventer la vie n’est-elle à chaque fois qu’un feu de paille éclairant la liberté ?
Annoncer un Festival « sans convivialité » est très inquiétant, et j’ai lu ça dans le journal aujourd’hui. Un éclat tellement plus positif m’a été donné par un homme de théâtre rencontré par hasard il y a trois jours et qui, me parlant de Gérard Philippe dans « Roméo et Juliette » – spectacle auquel il avait assisté – me raconte que les spectateurs tellement heureux de ce qu’ils venaient de voir, de vivre ensemble, s’embrassaient à la fin de la représentation ! Quelle plus belle façon d’être ensemble ? Quel plus beau signe d’humanité ? J’aimerais vivre ça !
Le spectacle (la poésie) est dans la rue, dans les arbres, dans le sourire du voisin, dans les cœurs qui battent, dans les livres qu’on se passe ; dans l’intuition qu’un jour, nourri chaque jour par des secondes gagnées à la bêtise, nous serons enfin pleinement ensemble –ensemble heureux-, cette notion si simple du bonheur, du progrès aussi, et qu’aucun ordinateur ni compte en banque joufflu ne partagera jamais avec personne.
Je m’étonne des excès du quotidien affichant comme normaux les mensonges politiques, les manipulations grossières, vulgaires affichées sans scrupules qui semblent terminer le travail consistant à aller jusqu’au bout des fractures multiples de notre société, alors que nous sommes debout pour la plupart, mais sans force c’est vrai, chacun, et comme soumis, tétanisés par notre propre impuissance ! Cependant nous ne sommes pas non plus sans oublier notre précieux cerveau.
Notre sauveur dans la révolte contre la machinerie du pouvoir ?…
Je rêve d’une ville envahie d’êtres humains exprimant leur présence, remarquant celle des autres ! Un déferlement sans aucune ambition d’intéresser qui que ce soit, chacun s’exprimant pour lui- même en sincère concentration, et en conscience des autres dans l’espace investi… L’humain a besoin de se reconnaître.
N’est-ce pas ça qui nous manque : la gratuité, notre parole à entendre, à déblayer et à creuser… Les gestes de nos mains, les mouvements de nos corps, les couleurs, les musiques, les instruments et les voix qui brillent…Voir et entendre pour mieux survivre. Ainsi, noyer ce qui nous sépare comme dans des mouvements tectoniques sont engouffrées les eaux salvatrices ; nos rêves seuls flottant -à notre effigie- sur une magnifique ligne d’horizon ; la corde d’un violon (pas faite pour s’y pendre)!
Voilà quelque chose dont je me sens capable : mobiliser les habitants d’une ville. Les vivants expriment ! Les vivants existent ! Etre présent physiquement à tel endroit de la ville ; s’arrêter, regarder… Non plus des images fugitives mais des corps qui évoluent ; redonner de l’homme avant de redonner de l’art.
Ce citoyen-là, au-delà de son intuition, se posera vite la question de son attitude, de son « costume », de l’endroit qu’il choisira, de celui où il reviendra… Oui, il ajustera sa présence au monde, et tous les autres, les témoins des drames et des rêves, en percevront tous les signes. Scènes de miroir inouïes et incontournables… Et quelque chose sera changé.
Est-ce « seulement » un rêve ?
Les hommes doivent-ils se regarder, je dis bien « regarder », avant de se parler ?Pas impossible ! Mais alors pourquoi ne le faisons-nous pas (ce n’est pas seulement la faute de nos écrans)? Nous serions ainsi largement majoritaires !… En tout cas « mon semblable, mon frère » – lui, moi – il aura, j’aurais – l’impression d’une union, d’une alliance (ah, la sève retrouvée de ces mots !)… Alliance qui ne tiendrait que par lui-même, que par moi-même, que par nous tous… Et chacun à sa façon, ensemble.
D’ici-là (un vrai parcours de vie) comment faire soi-même le premier pas ? Ce n’est sans doute pas le plus facile d’aller de soi à soi, de faire avec soi, un premier ensemble. Ça peut prendre une vie. Et alors ? Faire avec soi, un premier ensemble, prendre ce risque, et penser aux autres.
Le 21 septembre 2020.
POUR UN RENOUVEAU ARTISTIQUE (On s’y met ?)
Imaginons une cohérence quant à la fermeture des lieux de Culture !
Imaginons face au NON de la fermeture, la construction d’un OUI de l’ouverture !
Imaginons une mise en scène, mais en rues et venelles, en villes, en quartiers, en places, en chemins, en campagne !
Imaginons dehors les créateurs, ceux du spectacle vivant, tous les autres, et les spectateurs !
Imaginons les programmations maintenues, les festivals maintenus, mais les équipes artistiques réinventant dehors une prestation inspirée ou non de ce qu’elles auraient dû présenter !
Imaginons une vedette dans la rue, invitant sur son énorme cachet d’autres artistes et créant comme les autres équipes « un geste artistique » !
Imaginons que les gens soient heureux de sortir de chez eux pour aller voir des artistes !
Imaginons une météo anecdotique et des files mieux tissées, plus causantes que celles qu’on voit au marché !
Imaginons que les abonnés des saisons culturelles n’aient plus besoin d’être remboursés, que les badauds de l’hiver mettent -en conscience- des euros dans le chapeau !
Imaginons les personnels des théâtres -en conscience-, s’activant à mettre en place ces événements réguliers !
Imaginons des artistes jouant -en conscience-, s’exprimant, inventant des images devant les lieux fermés, mais aussi devant les pharmacies, les librairies et autres lieux !…
Imaginons un renouveau de la présence artistique !
Imaginons le bonheur de l’art partagé au-delà de 20h, la nuit rêvée, l’envie de ressortir, de se retrouver, la sensation d’un renouveau !…
11 décembre 2020.
LETTRE OUVERTE D’APRES CONFINEMENT 2020 AUX DIRECTEURS DE LIEUX CULTURELS DE PAR CHEZ NOUS ET D’ALENTOUR ET AUX ARTISTES.
Nous vivons tous dans le même poème.
Les Cies sont sur le flanc. Elles ont pu en 80 jours, je l’espère, faire en un rêve de théâtre la tournée mondiale des salles ! Cette rêverie pouvant devenir un texte, un spectacle : un type qui fait le tour du monde des théâtres et qui à chaque fois recrée une histoire magnifique. Il est heureux, il fait son métier, on l’écoute, les responsables lui sourient et après le spectacle, mêlant les langues et les langages il fait, non pas un « bord de scène » mais un « comptoir » parce que après avoir joué, il a soif. Il est heureux, et comme une nouvelle loi a soldé la présence des agents de sécurité pour confier à tour de rôle la clé du Théâtre à un spectateur, la discussion, les discussions peuvent se prolonger jusqu’au bout de la nuit ; si la fatigue aussi est repoussée, il retourne sur scène avec le dernier carré des couche-tard, et enthousiasmé à l’idée de tenter quelques improvisations avec eux.
Si le rêve a été contrarié au point de ne pas exister du tout, et chacun dans les Cies n’ayant été relié à rien pas même parfois à son imaginaire, les images sont tombées jour après jour dans leurs métaphores. L’acteur est chez lui comme sur un ponton, mais pas de marées prévues ni d’embarcation disponible… Et puis finalement à quoi bon retourner dans le grand bain si c’est pour se prendre les vagues artificielles d’un immense bateau (appelle-t-on ça encore comme ça ?) de tourisme, ou bien pour être pris dans les filets d’un industriel de la pèche ?…
De ces deux postures, il doute, et le souvenir des vidéos « On est là ! », sympathiques toutefois, ne lui a laissé aucun goût dans le cœur.
Pourtant l’artiste, l’artiste créateur, disons un gars comme moi, se dit toujours que la culture c’est le domaine de tous –et que certains traduisent-.
C’est peut-être là qu’il y a quelque chose à revoir : se comprendre, quels que soient les langages, parce que les langages (qui ont tous le même âge pour peu qu’on les parle) se réinventent sans cesse, et qu’ils ne peuvent être contenus dans un seul qui serait celui de la culture et que d’ailleurs dénonce fort habilement Ruben Östlund dans « The Square » (Palme d’Or à Cannes 2017).
La chanson est très connue, et depuis 40 ans ; allez 30, Depuis la disparition des Cies permanentes en danse, en théâtre !… Je me souviens de la révolte des intermittents en 2003. Je pense que ça été la grande cassure entre l’administration et l’artistique. Les artistes ont dévalé la pente, certains s’accrochant aux branches ou ayant effectué une telle pirouette qu’ils se sont fondus dans la troupe administrative.
Que sait-il faire, l’artiste (disons un gars comme moi) ? Jouer, mettre en scène, écrire, lire, défendre son art ? Qui s’en souciait ? Qui va s’en soucier ? Et surtout, comment ? Est-ce que les mots vont pouvoir retrouver leurs places, ajustés par les échanges, polis par les regards et les intelligences, et sautant sur des mines d’imagination ? Ça s’rait bien, dis-donc !… Et toi, Monsieur le Directeur, quels projets sur le plateau là-haut ? Des lectures ? Des manuscrits ? 80 jours ! Je crois que je ne suis pas bien reçu, qu’il faudrait une sonorisation qu’un écho m’amplifie davantage, au-delà de la vallée où j’ai glissé…
Ah, comme j’aimerais avec mes camarades –artistes libres- profiter d’un POT (un Plan d’Occupation des Théâtres), et qu’on laisse entrer et sortir les artistes, qu’on les engage, qu’ils éclairent la cité ! Et que nos contemporains aient subitement envie d’aller au théâtre comme on va aux urgences, avec de la peur et de l’espoir !
Une vraie éthique à partager pour être tous acteurs du monde, à l’écoute du monde ! Pourquoi Proust est-il célèbre ? Parce qu’il a écouté le monde à travers son monde, il a entendu les hommes et vu leurs manières, mis les siennes dans le jeu ouvrant ainsi le roman pour une éternité, semble-t-il…
Les poètes ne cèdent pas, jamais ; ils grattent et creusent sans cesse leurs univers et en écrivant cette lettre ouverte j’ai l’impression de jouer mon rôle aussi, comme savent le faire encore certains directeurs de théâtre (et j’en connais que j’admire). Et puis, et je crois que ce qui motive cette lettre, c’est ce que j’ai lu dans « La lettre du spectacle » : une déclaration de Thomas Jolly directeur du Quai et du Centre Dramatique National d’Angers (où j’ai d’ailleurs eu la chance de jouer à plusieurs reprises (la dernière fois dans « Portrait d’une femme », création par Claude Yersin de cette pièce formidable de Michel Vinaver, avec entre autres la merveilleuse Elsa Lepoivre…), bref (ça me fait plaisir de me rappeler ce souvenir), donc Thomas Jolly qui est avant tout comédien/metteur en scène a annoncé qu’il ne ferait pas de plaquette pour la saison à venir, pas d’abonnements non plus, et qu’il allait avec des artistes –nombreux- inventer des formes qui apparaîtront ici et là dans la ville, qu’il allait faire surgir des textes et tous les arts… Sa réflexion est en cours et je suis tellement heureux de cette prise de position qui bouleverse enfin l’ordre établi et veut sans artifices ni calculs nous mettre en présence les uns des autres.
Je ne croyais plus à cette possibilité au sein d’une « structure » telle que la sienne, où très souvent la surenchère des plaquettes luxueuses et vides et le taux de remplissage font depuis si longtemps les terribles parenthèses des saisons !
Merci Thomas Jolly !
Rencontrons-nous !
Et vous aussi, directeurs de lieux culturels (ah, comme j’aimerais dire THEÂTRES !) , artistes de par chez nous et alentour, hissons ensemble les voiles, et soufflons ! Soufflons !
Nous vivons tous dans le même poème.